L’hypersexualisation de la société a-t-elle un impact sur la jeunesse ?

Depuis quelques décennies, le phénomène d’hypersexualisation, qui consiste à « donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi » (définition CRIOC Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs), se répand dans toutes les régions du monde occidentalisées. Cependant, celui-ci pose question, il fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches et se retrouve au cœur de vifs débats de société. Dans le contexte actuel des nouvelles technologies et de cette « société du paraître », ne représente-t-il pas un danger pour les jeunes ?


Comment les jeunes se retrouvent-ils confrontés à l’hypersexualisation de la société ?

Le phénomène d’hypersexualisation que l’on connait aujourd’hui est né du mouvement de « révolution sexuelle » apparut dans les années 1960-70 en Occident. Jusqu’alors, la sexualité relevait de l’intime, du secret, voire, du fait de la « morale sexuelle » établie par l’Eglise chrétienne très présente à cette époque, du tabou. Cependant, dès la moitié du XXe siècle, on assiste à un éclatement des normes et des codes, la vision de la sexualité change et passe du besoin de procréation à la recherche du plaisir. Nos sociétés connaissent alors de grandes avancées en matière de mœurs et notre manière d’appréhender la sexualité change.

C’est ainsi que la sexualité est passée de la sphère privée à la sphère publique. « Cette révolution sexuelle a permis également l’émergence du désir de la femme, son affirmation, mais aussi la reconnaissance des fantasmes sexuels des hommes, matérialisés par la banalisation de la pornographie » (AFU Association Française d’Urologie). Au fur et à mesure des décennies, les réseaux sociaux et la culture pornographique, dans les médias et la publicité, se sont développés, avec pour résultat une sexualité normative qui imprègne aujourd’hui totalement nos sociétés. De nos jours, on parle de sexualité partout, tout le temps et avec tout le monde : c’est le phénomène d’hypersexualisation. Les adolescents y sont alors confrontés très précocement. Selon le site « Internet sans crainte », déclinaison du programme européen « Safer Internet » autour de la prévention des risques à l’usage d’Internet, 82 % des 11-13 ans ont été déjà confrontés à un contenu pornographique.

Quels impacts sur les comportements des jeunes ?

Selon le rapport parlementaire remis par Chantal Jouanno en 2012, la pornographie influence grandement les pratiques sexuelles des jeunes. En effet, l’hypersexualisation est phénomène qui prend de plus en plus appui sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Dans le contexte actuel de dictature de l’apparence et de culture pornographique, ces outils, au cœurs de nos vies quotidiennes, influencent nos comportements en matière de sexualité notamment et nous poussent vers plus de mise en scène de soi en particulier chez les jeunes. Ainsi, on a vu apparaitre le « cybersexe » et le « sexting » (partager ses fantasmes, photos érotiques etc. via les réseaux sociaux ou par texto) ou encore les show sur webcam (strip-tease sur messagerie privée ou site spécialisé). L’étroite relation entre pornographisation et hypersexualisation et son influence sur les jeunes est également reconnaissable dans la consommation quotidienne des adolescentes qui sont par exemple « conditionnées au port de vêtements sexy » (Richard Poulin). L’expansion est donc aussi fortement lié à une société de surconsommation.

Les jeunes sont-ils victimes de l’hypersexualisation ?

L’hypersexualisation est un phénomène de société qui touche particulièrement les jeunes et qui  « tend à exacerber les différences entre les hommes et les femmes et à enfermer les comportements des uns et des autres dans des comportements et attitudes qui relèvent du stéréotype » (FAPEO Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel).  L’hypersexualisation se basant sur le principal stéréotype sexiste  : la femme-objet sous la domination de l’homme virile. Les jeunes se retrouvent donc avec des représentations de l’Autre, du corps, de l’amour et de la sexualité formatées par les médias, mais ce sont les premiers à en souffrir.

En effet, selon le rapport de Chantal Jouanno, on peut relever de nombreuses conduites à risques observables chez les jeunes occidentaux. Tout d’abord un « débordement psychique » lié à la surexposition à des images pornographique parfois violentes, avec une forme d’addiction voire une cyberaddiction et des comportements violents. Au-delà de ça, l’hypersexualisation engendre de gros problèmes d’estime de soi chez les jeunes et en particuliers les jeunes filles, même si les jeunes garçons y aussi sont confrontés. En véhiculant, le culte de l’apparence et  du corps parfais et des modèles féminins comme celui de la « sex bomb« , les médias invitent les jeunes filles à jouer de leurs corps et à se soumettre au désir masculin. Ainsi, un grand nombre de celles-ci est insatisfait de son corps voire ressent de la honte. Les troubles du comportement alimentaires et notamment l’anorexie, la dépression et la faible estime de soi, sont bien plus présents chez les filles que les garçons. Selon une enquête internationale (Observatoire Sodexho de la qualité de vie au quotidien), on observe une sexualisation alimentaire (spécification des aliments en fonction du genre) de plus en plus importante. Enfin, l’hypersexualisation se traduit aussi par plus de harcèlement sexuel et cyberharcèlement entre jeunes, du fait d’une surexposition à des images violentes et de domination des femmes.

L’hypersexualisation comme forme d’émancipation pour les jeunes ?

Selon l’étude menée par Marie-Eve Lang sur 14 jeunes franco-canadiennes âgées entre 15 et 17 ans en 2012, les médias peuvent aussi paradoxalement concourir, à l’affirmation de leurs propres valeurs en se confrontant aux opinions qui y sont véhiculées, voire dans le pire des cas les jeunes filles « apprennent à savoir à quoi s’attendre des hommes les plus machos ». Ainsi, le développement du phénomène d’hypersexualisation a aussi donc pu leur permettre, via les médias, d’apprendre davantage sur la sexualité, même si cela reste à nuancer étant donné que ces derniers n’offrent bien souvent qu’une vision sexiste et hétéronormative, c’est-à-dire « la promotion de l’hétérosexualité comme modèle normatif de référence en matière de comportements sexuels » (Horincq, 2004) de la sexualité.

D’autre part, pour certains hommes et pour certaines féministes, l’hypersexualisation est signe de libération et d’empowerment (autonomisation) si se sont des choix pris par les jeunes filles en toute conscience. L’empowerment se référant en au « fait de se sentir investi ou investie d’un certain pouvoir décisionnel et, en même temps, de l’être réellement ». Cependant, au vue de l’image des femmes véhiculées intrinsèquement par le concept d’hypersexualisation, on ne peut apparemment pas parler de choix. C’est là qu’entre en jeux la notion plus englobante d’agentivité sexuelle (sexual agency) qui émerge aujourd’hui et qui se réfère au fait de contrôler sa propre sexualité. Il « considère les femmes et les adolescentes comme des « agentes » actives plutôt que comme de potentielles « victimes » du désir masculin » et implique que celles-ci « se [sentent] et se [savent] à l’origine de leurs actes » (Marie-Eve Lang, 2011).


L’hypersexualisation touche donc l’ensemble de la population et notamment les jeunes qui y sont souvent confrontés précocement. Les codes de la pornographie et les stéréotypes sexuels et sexistes, relayés par les médias, sont au cœur de ce phénomène de société et influencent les comportements et attitudes des jeunes et contribuent également à l’émergence de conduites à risques. Selon certaines féministes, ce n’est qu’en comprenant qu’elles peuvent agir selon leurs propres désir que les jeunes femmes, premières victimes de l’hypersexualisation, pourront réellement se libérer des dictats de l’apparence et des désirs masculins dominants.


Pour plus d’informations :

Jouanno, C. Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité. Rapport parlementaire commandé par le gouvernement Français, 5 mars 2012. Pages 55-79

Desagher, C. L’hypersexualisation, l’image de l’enfant en question. Fapeo, mai 2012. 18 pages

Cour, F. Evolution sociétale de la sexualité. Progrès en Urologie, Volume 23, Issue 9, 5 juillet 2013. Pages 832-837.

Laronche, M. L’accès à la pornographie brouille la sexualité des ados. Le Monde, n°20391, 15 août 2010. Page 17.

Lang, M-E. L’« agentivité sexuelle » des adolescentes et des jeunes femmes : une définition. Critiques féministes du développement : pouvoir et résistances au sud et au nord, volume 24, n°2, 2011. Pages 189–209

Jamain-Samson, S. Liotard, P. La « Lolita » et la « sex bomb », figures de socialisation des jeunes filles. L’hypersexualisation en question. Sociologie et sociétés, volume 43, issue 1, printemps 2011. Pages 45-71.

Joignot, F. Le porno chante-t-il les ados ?. Cahier du Monde, n°20929, 5 mai 2012. Pages 2,4-5.

Duru-Bellat, M. Les adolescentes face aux contraintes du système de genre. Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Agora débats/jeunesses », n°64, 2013/2, pages 91-103.

Poulin, R. Apparence, hypersexualisation et pornographie. Les classiques des sciences sociales.http://classiques.uqac.ca/contemporains/poulin_richard/apparence hypersexualisation/ apparence_hyperexualisation_texte.html. 13 septembre 2011 [consulté le 26 mars 2018]

Hypersexualisation et sexualisation précoce. Zéro cliché !. http://www.zerocliche.com/ hypersexualisation-et-sexualisation-pr%C3%A9coces.html [consulté le 10 avril 2018]

Lang, M-E. La réception de la sexualité dans les magazines pour adolescentes. Entre adhésion et contestation. Questions de communication. http://journals.openedition.org/ questionsdecommunication/6692. 1 septembre 2014 [consulté le 13 avril 2018]

Bensimon, P. La relation entre pornographie et hypersexualisation. Délinquance, justice et autres questions de société. https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2017/10/19/ La-relation-entre-pornographie-et-hypersexualisation. 19 octobre 2017 [consulté le 9 avril 2018]

Sexisme, hypersexualisation et stéréotypes sexuels. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/le-ministere/condition-feminine/sexisme-hypersexualisation-et-stereotypes-sexuels/. [consulté le 10 avril 2018]

Helissen-Schuster, C. Maryse Jaspard, Sociologie des comportements sexuels. Lectures. http://journals.openedition.org/lectures/23251. 06 juillet 2017 [consulté le 10 avril 2018]

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